jeudi 1 février 2018

Emma: changer le monde une BD à la fois

Andréanne Moreau sur le site de Châtelaine.



Partage des tâches, profilage racial ou violences obstétricales, la blogueuse et bédéiste française Emma ne craint aucun sujet et porte un regard critique, mais ouvert, sur tout.

Elle a bouleversé la vie de nombreuses femmes avec Fallait demander, sa bande dessinée sur la charge mentale, qui a fait le tour du monde sur les réseaux sociaux et a été traduite dans une vingtaine de langues. 

Mais Emma (son nom de plume) ne s’intéresse pas qu’aux questions féministes ou ayant trait à la maternité. Dans le premier tome d’Un autre regard (en vente au Québec depuis août), elle aborde tout un éventail de thèmes, avec sa touche pleine d’humanité qui nous amène à voir les choses autrement. 

On trouve dans le deuxième tome sa bande dessinée sur la charge mentale, ainsi que d’autres au sujet du port du voile islamique et du monde du travail.

Comment en êtes-vous venue à utiliser la bande dessinée pour illustrer vos idées ?

Je bloguais depuis un moment déjà, mais mes textes restaient dans les cercles féministes et activistes, ce qui fait que je m’adressais toujours à des gens déjà convaincus. Un jour, j’ai illustré un billet à l’aide d’un dessin. Il a beaucoup circulé et a été lu en dehors des circuits habituels. 

C’est là que j’ai compris l’avantage de l’image. Les articles défilent à une vitesse folle sur les réseaux sociaux. La bande dessinée permet de passer beaucoup plus d’information plus rapidement, mais aussi de transmettre de l’émotion en même temps. 

Les gens s’identifient aux personnages. Je peux donc davantage faire appel à l’empathie du lecteur, à son humanité.


Avez-vous l’impression d’avoir amélioré la situation des mères avec votre bédé Fallait demander ?

J’ai reçu des courriels de centaines de femmes, alors oui ! Ça leur a permis de mettre enfin un mot sur ce qu’elles ressentaient, d’en discuter avec leurs amies ou même d’aborder le problème avec leur conjoint. 

Je crois que le fait de comparer la mère à la chargée de projet et le père à l’exécutant a été très utile pour expliquer aux hommes la charge mentale et leur faire comprendre qu’il s’agissait d’une tâche en soi. 

Après tout, qui aurait idée de demander à un chargé de projet d’exécuter également une grande partie des tâches nécessaires pour mener à terme ledit projet ? Lorsqu’on constate à quel point mon billet a voyagé sur la planète, on s’aperçoit que ce sujet est universel et qu’il était vraiment temps qu’on en parle.

Où en est le féminisme, selon vous ? Quels seront les prochains défis ?

Je pense qu’on est dans une phase charnière. On a obtenu l’égalité de droit, même si elle est toujours précaire – à preuve, on doit encore souvent défendre le droit à l’avortement. 

Maintenant, il nous reste à atteindre l’égalité de fait. Ce n’est pas gagné. Il faut constamment prouver qu’il y a une inégalité. On doit dénoncer le harcèlement de rue, la discrimination au travail, la charge mentale et les agressions sexuelles si on veut que ça change. 

Et même quand on le fait, il y aura toujours quelqu’un pour nous dire qu’on se plaint pour rien.

D’après vous, la récente vague de dénonciations d’agressions sexuelles sur les réseaux sociaux avec les mots-clics #MoiAussi, #MeToo ou #balancetonporc est-elle un pas dans la bonne direction ?

C’est énorme, ce qui s’est passé. Toutes ces histoires qu’ont racontées les femmes et qui étaient considérées comme acceptables avant – les avances de patrons, les commentaires salaces –, c’est comme si on s’était rendu compte collectivement que ce n’est pas banal. Comme si on réalisait qu’en fait, ce sont toutes des agressions et que, oui, c’est grave.


Vous êtes ingénieure en informatique. D’où vous vient cette volonté de lutter contre les injustices de la société ?

Ça m’est venu d’un coup. J’étais privilégiée, j’avais un bon salaire et beaucoup de facilité à me trouver un emploi puisque je travaillais dans un domaine très couru. Je crois qu’une partie de moi avait l’impression que les autres n’avaient qu’à faire comme moi pour s’en sortir. 

Je ne réalisais pas que j’avais eu beaucoup de chance, et que tout le monde n’avait pas eu des parents présents ou la possibilité de faire ses études sans devoir avoir un boulot en même temps.

J’ai pris conscience de l’existence d’injustices quand certaines situations m’ont touchée moi-même parce que j’étais une femme. Je ne pouvais rien y faire, j’étais née comme ça, et pourtant je me retrouvais victime de préjugés. 

J’ai compris que c’était exactement la même chose pour les gens issus de milieux plus pauvres ou les immigrants, par exemple. On saisit mieux ce sentiment d’impuissance quand on l’a vécu soi-même.

Vous vous dites révolutionnaire. Que souhaitez-vous comme révolution ? Qu’est-ce qui doit changer ?

Je voudrais qu’on reprenne nos vies en main et qu’on ne se contente plus de voter tous les cinq ans. Pour moi, le vote est d’abord un abandon de pouvoir. On laisse la responsabilité de prendre toutes les décisions à quelqu’un d’autre et on cesse de s’en soucier. 

On doit changer ce système et retrouver un monde plus collectif. Pour y arriver, il faut d’abord avoir confiance que les choses peuvent s’améliorer. Moi, j’y crois. Je pense vraiment que personne n’a envie de faire du mal aux autres. 

C’est seulement qu’on n’a pas les bons outils, les bonnes informations. Il faut faire appel à l’humanité des gens et mieux les informer, simplement.

Un autre regard T.2 : Fallait demander
Emma
Éditions Florent Massot
29,95 $
ISBN: 9791097160241

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