mercredi 13 novembre 2013

« La BD s'expose au Musée » dans La Presse+


Le Musée des beaux-arts de Montréal (MBAM) célèbre la bande dessinée jusqu’au 30 mars en présentant l’exposition La BD s’expose au Musée, à l’occasion du 15e anniversaire de la maison d’édition La Pastèque. Quinze de ses bédéistes ont créé des dessins originaux en s’inspirant d’une œuvre de la collection du musée.




LA CULTURE POPULAIRE S’EXPOSE
ÉRIC CLÉMENTLA PRESSE


Le MBAM porte un intérêt à la bédé depuis 1980, quand le directeur Pierre Théberge avait organisé Le musée imaginaire de Tintin. En attirant les enfants au musée, on attirerait les parents aussi, avait-il dit, souhaitant que la culture populaire imprègne les murs de l’institution de la rue Sherbrooke.

Depuis, d’autres initiatives de ce type ont été prises, notamment Snoopy entre au musée en 1982 et Big Bang en 2011, exposition à laquelle le dessinateur Michel Rabagliati a participé avec une vingtaine d’artistes. Rabagliati avait créé une bédé en 12 planches dans laquelle son personnage Paul se promène dans le musée et découvre une sculpture, Les Sirènes, d’Auguste Rodin.

C’est dans le même esprit d’une collaboration entre bédéistes et œuvres du musée que le MBAM célèbre les 15 ans de La Pastèque.

Les bédéistes Isabelle Arsenault, Pascal Blanchet, Paul Bordeleau, Pascal Colpron, Cyril Doisneau, Patrick Doyon, Jean-Paul Eid, Pascal Girard, Réal Godbout, Janice Nadeau, Michel Rabagliati, Marc Simard, Rémy Simard, Siris et Leif Tande ont choisi une œuvre du musée et s’en sont inspirés pour créer une illustration originale. Ces créations sont présentées dans deux salles du musée aux côtés des œuvres choisies par les bédéistes.

« Les œuvres [du musée] parlent plusieurs langages », dit Nathalie Bondil, directrice et conservatrice en chef du MBAM. « Elles peuvent établir des passerelles vers d’autres imaginaires et d’autres clientèles, au-delà de l’histoire de l’art. »

La Pastèque publie également pour ses 15 ans un album souvenir qui comprendra les œuvres originales exposées au musée, un historique de la maison d’édition, des textes signés par des personnalités du monde du livre et une entrevue avec Martin Brault et Frédéric Gauthier, fondateurs de La Pastèque.




15 QUESTIONS À LA PASTÈQUE 
ÉRIC CLÉMENTLA PRESSE

Fondateurs de La Pastèque, Frédéric Gauthier et Martin Brault nous parlent de leur maison d’édition qui fête ses 15 ans.

Pourquoi avoir créé La Pastèque ?

On était libraires spécialisés dans la bédé. Il se passait plein de choses en Europe, aux États-Unis et ailleurs avec [la bande dessinée romanesque] et plein de nouvelles maisons d’édition, alors qu’ici, ça stagnait depuis la mort de Croc. On a démarré La Pastèque pour apporter du renouveau dans la bédé québécoise, apporter un soutien éditorial de choix et exporter des œuvres en France.

Pourquoi le nom de La Pastèque ?

On ne voulait pas tomber dans un nom qui fasse référence à la bédé, genre bulle, case ou phylactère. On cherchait un nom qui se prononcerait bien en anglais et sympathique. Je suis un fan fini de Richard Brautigan. Un de ses romans s’intitule Sucre de pastèque. De là, ce nom de La Pastèque est apparu et est resté jusqu’à la fin.

La Pastèque a publié combien de titres depuis 1998 ?

Plus de 140.

Des bédéistes québécois autant qu’étrangers ?

Environ 70 % de nos auteurs sont québécois, les autres sont des Français, des Autrichiens et des Argentins. Dès le départ, notre volonté était d’aller chercher des auteurs étrangers d’autant qu’au début, 80 % de notre chiffre d’affaires était fait en France. Maintenant, c’est 70 % ici et 30 % en France.

Le fait que vous ne publiiez pas que des livres destinés aux jeunes a fait votre succès ?

On voulait suivre ce qui se passait en Europe, ne pas se fermer dans une façon de faire. Il y a 15 ans, peu de librairies avaient un espace bédé ici. Avec le corpus développé depuis 15 ans, ça a changé. La présence de la bédé québécoise est nettement plus forte.

La bédé québécoise est-elle distincte par rapport à la bédé européenne ?

Ce qui démarque le Québec, c’est la diversité des styles. Les auteurs québécois font à peu près de tout et on parle enfin de ce qui se passe chez nous. Sinon, la bédé québécoise n’est pas vraiment différente.

Vous avez réussi à faire votre place en France ?

Je pense que oui, notamment avec la série des Paul, de Michel Rabagliati, et les prix qu’on a gagnés avec cette revue. On est maintenant pris au sérieux là-bas. On est connu et reconnu. On a même un employé qui y travaille pour nous.

La bédé québécoise peut-elle percer le marché français avec la même ampleur que le font les artistes de la chanson ?

Avec la même ampleur, non. Mais depuis quelques années, beaucoup d’auteurs et d’illustrateurs se retrouvent publiés en France et leur nombre ne fait qu’augmenter. Il y a déjà une énorme différence par rapport à il y a 15 ans. Le marché français étant ce qu’il est, il est difficile de percer un marché protectionniste où l’on retrouve déjà de nombreux éditeurs et auteurs…

La bédé est-elle aussi populaire ici qu’en Europe ?

On a parcouru énormément de chemin depuis 15 ans, mais ce n’est pas comparable à la popularité de la bédé en France ou en Belgique où elle est implantée depuis 70 ans. Rien qu’en France, il y a 300 libraires spécialisées en bédé et le nombre de lecteurs et de collectionneurs est évidemment beaucoup plus grand.

Le lectorat est-il le même qu’en Europe ?

En Europe, les gens sont atteints de collectionnite aiguë et achètent presque machinalement un album pour compléter une série. Ici, le lecteur discute avec le libraire et veut savoir ce qui est raconté dans le livre. On a un très bon lectorat au Québec, plus curieux, qui ne lit pas que de la bédé, mais aussi de la littérature, de la poésie, ce qui nous permet de faire des livres différents.

Aimeriez-vous diffuser sur le marché anglophone, aux États-Unis notamment ?

Pas du tout. Dès le départ, on s’est aperçu que c’est un autre marché et qu’il faudrait créer une deuxième entreprise. On préfère vendre les droits à des éditeurs anglophones, notamment Drawn & Quarterly.

Parmi les 15 bédéistes qui sont au musée, combien avaient publié avant la création de La Pastèque ?

Réal Godbout et Jean-Paul Eid sont de l’époque de Croc. Mais la plupart des autres ont commencé avec La Pastèque.

Quinze bédéistes confrontées aux œuvres du musée, cela donne de bons résultats artistiques ?

On est très satisfaits du résultat. Le choix des artistes était éclectique et au final, chaque illustrateur a su apporter sa touche personnelle. Les auteurs ont utilisé leur œuvre de façon différente, s’appropriant l’œuvre originale, l’intégrant de façon tout aussi intéressante. Cela donne de bons résultats. On retrouve bien l’humour de Leif Tande ou la poésie d’Isabelle Arsenault.

Peut-on voir des similitudes de style entre l’artiste choisi et le bédéiste ?

Oui, le choix des artistes n’est pas anodin. Je peux reconnaître nos illustrateurs par leur choix. Par exemple, le choix de Pascal Girard correspond bien à son style et à sa personnalité. De même que Marc Simard ou Siris. Le Musée aurait pu nous montrer seulement le choix des œuvres et je pense que nous aurions été en mesure de les relier à nos illustrateurs sans trop nous tromper !

Pour La Pastèque, c’est important cette exposition au MBAM ?

Pour La Pastèque et pour la bédé québécoise, c’est la plus belle reconnaissance grand public qui soit. C’est inattendu et extraordinaire pour la visibilité que ça donne aux auteurs et à la bédé québécoise. On ne pouvait pas espérer mieux. 

 


PAUL : LA NAISSANCE D’UN PHÉNOMÈNE
ALEXANDRE VIGNEAULTLA PRESSE


Paul est aujourd’hui un personnage célèbre de la bande dessinée québécoise. Il a néanmoins connu des débuts plus que modestes, raconte Michel Rabagliati. Paul à la campagne est l’une des premières œuvres éditées par La Pastèque, qui souligne ses 15 ans d’existence avec une édition grand format et en couleurs de cette œuvre fondatrice.




RAYONNEMENT INESPÉRÉ
ALEXANDRE VIGNEAULTLA PRESSE


Paul n’était pas destiné à connaître la popularité dont il jouit aujourd’hui. Son créateur, Michel Rabagliati, ne songeait même pas sérieusement à publier lorsqu’il en a dessiné la première aventure, en 1998. « Croc venait de fermer, justifie-t-il. Le paysage était très sombre au Québec en bande dessinée. »

Le flair de La Pastèque, son éditeur, a été récompensé : la série Paul, qui compte aujourd’hui sept tomes, avoisinerait les 200 000 exemplaires vendus. Un tel score constitue un très grand succès pour une bande dessinée au Québec. Raynald St-Hilaire, spécialiste de la bédé et de sa mise en marché, ose même parler de « phénomène social ».

Rabagliati n’est pas le seul bédéiste québécois à connaître un tel succès. Delaf & Dubuc cartonnent en Europe et ici avec leur sérieLes Nombrils, publiée chez le géant belge Dupuis. « C’est un best-seller, c’est-à-dire non seulement un titre qui vend, mais qui fait partie des priorités », explique leur éditeur, Benoît Fripiat.

La bande dessinée québécoise, en somme, est passée de la non-existence commerciale au rayonnement grand public ces 15 dernières années. « Il y a de la bande dessinée au Québec depuis le début du siècle dernier, mais c’était marginal, rappelle Raynald St-Hilaire. Ce qui manquait jusqu’à tout récemment, c’était des éditeurs. »

Tout le monde en parle

Gautier Langevin, directeur général de Front Froid, magazine qui publie des créations originales d’artistes d’ici, énonce de multiples facteurs pour expliquer l’effervescence actuelle : émergence d’éditeurs sérieux, succès de Paul et attention grandissante de la part des médias. « Les astres se sont alignés », résume-t-il.

« On n’aurait jamais pu penser que Marie-France Bazzo allait parler d’une bédé comme Les Nombrils il y a 10 ans », s’étonne encore l’éditeur. Raynald St-Hilaire abonde dans ce sens : « L’autre jour, Les Nombrils étaient mentionnés en première page de La Presse. C’est de la science-fiction pour un gars comme moi qui a vu d’où la bande dessinée québécoise est partie ! »

Les années 70, décennie associée à l’émergence d’une bande dessinée kébécoise (sic), furent en effet une suite d’essais et d’erreurs. Plusieurs revues sont nées et vite disparues jusqu’à ce que Croc s’impose. « Ç’a été très important », dit Raynald St-Hilaire, au sujet de ce magazine humoristique lancé en octobre 1979 et qui fut tiré jusqu’à 100 000 exemplaires dans ses grandes années.

Ce succès a favorisé certains créateurs comme Pierre Fournier, Réal Godbout, Jean-Paul Eid, Claude Cloutier et Caroline Merola, qui ont tous publié des albums. Il manquait toutefois un porte-étendard pour faire rayonner la bédé vers le grand public. Jusqu’àPaul. « Michel Rabagliati a réussi à conquérir l’imaginaire de gens qui ont de l’influence dans les médias », analyse Gautier Langevin.

Par ricochet, le succès de Paul a attiré l’attention d’un lectorat intéressé sur La Pastèque et les œuvres de ses autres auteurs tels Leif Tande ou Siris. Petit à petit, il s’est constitué un bassin d’éditeurs spécialisés aux lignes éditoriales nettes et exigeantes : Mécanique Générale et Les 400 coups d’abord, puis Pow Pow, La mauvaise tête et Glénat Québec.

Chauvinisme justifié ?

« L’intérêt a monté d’un cran depuis deux ou trois ans avec l’arrivée de petites maisons d’édition », remarque Réjean St-Hilaire, libraire responsable de la bande dessinée à la Librairie Monet. « Les libraires sont très heureux d’avoir des artistes et des dessinateurs locaux plutôt que de toujours mettre de l’avant des Européens », suggère quant à lui Christian Chevrier, patron de Glénat Québec.

Raynald St-Hilaire reconnaît l’existence d’une forme de chauvinisme. Qui est justifié, selon lui. « On n’encourage pas les auteurs québécois par complaisance, précise-t-il. On en parle parce qu’ils sont bons. » Assez bons pour travailler en Europe, d’ailleurs, comme c’est le cas de plusieurs dessinateurs, dont Djief, Thierry Labrosse, VoRo et Jacques Lamontagne.

Guy Delisle, originaire de Québec, s’est aussi fait un nom en Europe, continent où il vit depuis longtemps. Ses Chroniques de Jérusalem se sont écoulées à 100 000 exemplaires l’an dernier et l’œuvre a remporté le Prix du meilleur album au Festival de la bande dessinée d’Angoulême, équivalent d’un Oscar dans le monde de la bédé, en janvier 2012.

Devant l’enthousiasme général, Christian Chevrier précise néanmoins ceci : le marché de la bande dessinée au Québec est encore en développement. « Les quantités de bédés qui se vendent sont encore insuffisantes pour faire vivre un auteur, dit-il. On dépasse rarement, très rarement, le millier d’exemplaires vendus. »

L’émergence d’un lectorat féminin, parfois nourri au manga japonais à l’adolescence, a eu une influence certaine sur le succès de Paulet des Nombrils. Les lectrices sont aussi attirées par les bandes dessinées romanesques (graphic novels), œuvres pour public mature qui ont contribué à déconstruire le préjugé selon lequel la bande dessinée est faite pour les enfants et les ados attardés.

L’essor de la bande dessinée québécoise passe d’ailleurs par un élargissement du bassin de lecteurs, estiment plusieurs. L’avenir de la bédé d’ici se jouera en effet ici et aussi ailleurs, estime Raynald St-Hilaire. Le défi de la bédé d’ici se résume peut-être à une question, selon lui : « Pouvons-nous percer le marché européen ? »


Autoportraits

Les 15 artistes participants à l'exposition au Musée des beaux-arts de Montréal ont fait leur autoportraits pour le dossier sur la bd de La Presse. En voici quelques uns:

Cyril Doisneau
Isabelle Arsenault
Michel Rabagliati

Pascal Blanchet
Pascal Colpron
Réal Godbout
Jean-Paul Eid

La série complète ici.

Portraits

Les exposants en photo sur le site de La Pastèque.

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